Mais la vie sépare ceux qui s'aimentTout doucement, sans faire de bruitEt la mer efface sur le sableLes pas des amants désunis
De la fenêtre de la cuisine, je vois les arbres embrasser de
leurs hautes têtes feuillues la maison blanche qui m’accueille et qui semble
protégée, mais en même temps, fragile à leur côté. À l’intérieur une douce odeur
de pain s’est levée dans la cuisine. Dans le ciel, une congrégation d’oiseaux
noirs croasse bruyamment, ils tournaillent et virevoltent autour des troncs
gris et bruns, en leur faîte, créant au-dessus de moi un bal menaçant sourd et
tumultueux, tels des entretiens graves et inaccessibles; à l’intérieur les
premières notes de l’accordéon me prennent par surprise et me font frissonner, l’air
qui rentre dans le soufflet est chaud; j’observe les corbeaux, je m’étonne de
leur air néfaste. Ils sont nombreux et je me demande pourquoi ils sont perçus
de mauvais augure : leur bec, leur couleur de nuit, la rondeur glaciale de
leur œil, l’effroyable chant guttural; leur charge symbolique est lourde. Ils
rajoutent, au paysage de la cour, des ombres sur le sol avec leurs grandes
ailes; par leur nombre, ils donnent une sensation de fin du monde à cette
matinée grise. La maison blanche est retenue en otage et maintenant elle vibre
au son d’une chanson d’automne triste et mélodieuse. Mon regard n’arrive pas à quitter
ces oiseaux particuliers qui semblent se tenir à l’avant-poste, l’oiseau qui
sait, qui voit, qui prévient. Je les regarde impressionnée, à l’affût, l’automne
est arrivé et ils se préparent à l’hiver, nous devrions en faire autant. L’odeur
chaude de bon pain et la musique m’enveloppent, me consolent et bientôt cette
scène qui m’effraie ne sera plus qu’une image lointaine, poétique, intérieure,
détournée par la saveur voluptueuse de la miche, par la voix réconfortante de l’accordéoniste
qui me regarde avec tendresse. Une chanson d’automne pour combattre la cacophonie
des corbeaux. Je suis trop poétique, c’est sûr, pourtant une brèche s’est
formée entre le noir et le doré. Une inquiétude...