Il arrive parfois que l’on ouvre un livre et que dès les premières pages, que dis-je, les premières lignes, l’absolue évidence d’avoir entre les mains un bijou s’impose et nous étreint la gorge. Un ton, un style, une écriture, mais plus encore : un regard tendre et intelligent sur les gens, sur la vie, sur l’histoire, nous remue au plus profond. Le livre de Miroslav Penkov auteur du recueil À l’Est de l’Ouest, publié en 2011 est de ceux-là.
Ce jeune Bulgare installé aux États-Unis depuis 2001, a écrit un livre tout bonnement remarquable; il nous propose un recueil de huit nouvelles savoureuses qui parlent de sa Bulgarie natale, de l’histoire, de personnages pittoresques, de l’exil, d’un peuple balkanique balloté d’une guerre à l’autre, d’un régime à l’autre, de comment ces événements affectent les gens individuellement, mais aussi, il parle fondamentalement de nous, de nous tous face à la vie, avec nostalgie, humour, émotion, cruauté, vérité, et qui nous renvoie vers l’intérieur, là où dansent à côté des histoires créées par Penkov, parfois sensibles souvent burlesques, nos souvenirs, là où palpite notre cœur et, où résonnent ses phrases justes, formidables, qui nous suivent pendant des jours, qui altèrent l’univers autour de nous, qui réapparaissent tout d’un coup au milieu de la journée. N’est-ce pas le signe d’un écrivain universel, celui qui arrive à approfondir notre regard sur les choses, qui donne une dimension nouvelle à notre perception du réel?
Deux cousins qui s’aiment et ne peuvent se voir que tous les cinq ans à la rivière qui divise leur village entre Ouest et Est. Un grand-père devenu jaloux d’un soldat mort au début du siècle en retrouvant dans un coffret les lettres de l’amant à sa femme; un petit-fils qui achète sur eBay le corps embaumé de Lénine et l’envoie à son grand-père communiste : comment ne pas frémir en se rappelant de ce dialogue génial et émouvant de la conversation téléphonique entre le vieux et son petit-fils; un jeune-homme prodige qui vole une croix en or à une église orthodoxe, autant de perles dans cet ouvrage, qui ne se ressemblent pas mais qui, au fond, forment un tout merveilleux, qui évoque l’âme d’un pays martyrisé par l’histoire, et le désir de ce jeune auteur de faire devoir de mémoire.
Il arrive parfois que l’on ouvre un livre et que nos yeux se brouillent bouleversés et heureux, et que surgisse l’absolue conviction qu’un grand auteur est né.