sábado, 26 de octubre de 2013

Hommage à Salinas


Au lieu de rêver, compter : trois balcons gris sur ciel bleu, entourés de rouge, ocre et jaune. Cette ville me surprend à chaque année par la multiplication des gammes infinies des tons automnaux. Six arbres suivent, étalant leurs branches exubérantes et lourdes sur mon passage. La rue est étroite et presque vide, sale de feuilles mortes. Il est huit heures. Six, sept, huit, j’avance au rythme saccadé de mon inspiration et de mon expiration; tel un petit soldat: j'avance en comptant mes pas; l’haleine laisse des traces que j’écarte du regard, fixé lui, vers le bout de la rue. La saison est douce et délicieuse, mais je ne peux pas me laisser aller à la contemplation, je suis pressée. Une pièce résonne dans ma poche, accompagne ma cadence. Mes doigts enfoncés calment le jeu, le cliquetis cesse. Une bicyclette, deux et puis trois me dépassent facilement, je les sens me caresser, me larguer à ma condition de piétonne, à ce moment un petit pincement d’envie me serre le cœur, je voudrais tant rouler vers ma destination, l’image sur le chemin d’une jeune fille qui vient vers moi me distrait presque; elle bouge légère quand moi je pèse des tonnes, je l’aperçois du coin de l’œil et ne dévie pas la tête, non,  je piétine les feuilles avec l’absolue conviction que c’est la première fois que j’ éprouve cette fraicheur à mes pieds, que je perçois le crissement, le bris des feuilles sous mes orteils, nus, l'automne se colle à mes chevilles. Quelle merveille, quel étrange automne, si doux, si doux. Les mêmes maisons de tous les jours. Que de portes, de fenêtres! Que d’histoires à l’intérieur! Ce matin pourtant, je cours. Ne pas rêver ai-je dit, ni penser, ni ressentir, continuer. Huit, neuf, dix, mon sac est lourd. Onze, douze et puis zut, j’y suis presque. Chasse l’image de ton garçon au regard triste de tes pensées.  Celui-là qui avant de partir a soupiré : «je n’ai aucun désir». J’avance et je n'y peux rien maintenant. À ce souvenir, je lâche un râle douloureux et essoufflé, «Maman, je ne sais pas ce que je veux, où je vais. Je me sens vide». Compte, mère à la course, c’est trop dur. Ça fait mal.  Mes yeux automne s'attardent sur un jaune, par terre, «oh mon chéri, nous allons parler», disent mes pas. «Ça ira, mon amour», crie mon haleine. «Ne sois pas triste, si tu savais tout ce qui s'offre à toi, mon bel enfant!» Plus que quelques pas, Inés, ne tourne pas tes pensées vers son angoisse, passe par le parking de l’église et  tu arriveras à l'heure. J’y suis, je retiens ma respiration. Les cyclistes sont arrêtés au coin et attendent patiemment que le rouge passe au vert. Verts, les arbres que j’ai croisés.  Bleu le ciel, trois balcons, six arbres, une jeune-fille et un million de feuilles: il est huit heures deux. Je souffle enfin et je sais que mon fils lui aussi est dehors avec du bleu et du noir dans le corps et derrière les yeux. Je saisis la porte, ça y est, je la tire, la pièce retentit encore, la porte s’ouvre, je rentre, je traverse la grande salle en claquant des talons sur le carrelage, j’entends l’écho rebondir sur les murs immenses.  Je suis mouvement, je suis un cœur qui  bat et qui s’interroge, je suis une tête qui compte. Bonjour, je suis là, comment ça va? On y va!  Tu m’habites, fils, tu es ma douleur, à tout à l'heure, mon ange. Tout à l'heure je t'expliquerai la brume d'automne, les feuilles sous les pieds, nous rêverons ensemble de rouges et d’ocres, d’histoires insensées de balcons perchés, de ciel et de temps, je suis arrivée, cassée de l’intérieur, tout en chiffrée pour ne pas penser,  je t'aime.

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