domingo, 1 de enero de 2017

Gary VIctor

Monsieur,

La Nuit albinos est le troisième roman que je lis de vous.  Le premier, Cures et châtiments, je l’avais trouvé sur une table au salon du livre de Montréal où vous étiez habillé d’hiver, affichant un grand sourire; je l’avais fait signer par ma fille, car je m’étais sentie timide à ce moment.

Absolument enthousiasmée par l’univers que vous savez si bien décrire, les atmosphères : la chaleur humide, la nuit, les rues; la représentation de votre société sans détours, sans complaisance; les descriptions où j’avais l’impression de voir marcher ses haïtiennes dans la rue avec leur allure et leurs gestes, ou encore, l’impression d’entendre l’accent langoureux des gens de votre pays--j’aime la construction fluide et apparemment simple de vos phrases, leur musicalité, j’aime votre monde un peu inquiétant mais si vrai, si vrai, j’aime Dieuswalwe Azémar qui semble dépassé, sardonique, mais qui a un cœur profond.-- j’ai gardé longtemps ce premier livre avec moi dans une poche, votre dédicace, et vos phrases.

Avec ce livre, vous avez réussi à me transporter dans votre île où il m’arrivait  parfois de croire que j’avais bu cette boisson que votre policier semble apprécier, et où tout comme lui, les images devenaient plus floues, les impressions plus lentes, le cœur battant en arythmie et la possibilité du magique à portée de mains. 

Les romans policiers offrent une perspective particulière sur la société, c’est comme si on ouvrait une fenêtre camouflée qui laisse passer une lumière oblique, et avec vous, il y vient aussi un humour singulier de l’homme quelque peu désespéré mais qui continue d’aimer parce qu’il ne sait faire autrement ...

(Mais aussi, tel était mon plaisir : il m’arrivait de lire une page à mes élèves pour finir la journée, en cadeau, comme un roman à feuilleton, ou quand ils avaient bien travaillé. « Madame, encore une page, s’il vous plait! ».  Quel plaisir ils avaient à ouvrir grandes les oreilles et de s’installer au creux de leurs chaises... Mon livre, est d’ailleurs disparu depuis, j’ose espérer qu’un élève me l’a emprunté.)

Je suis donc normalement allée m’en chercher un autre : La saison de porcs, plus fantastique, plus noir, encore plus grave. Je vous ai à nouveau aimé.  Maintenant, je reconnais votre écriture, votre territoire et je m’y plais. Je l’explore et essaie de les appréhender. Je viens d’une culture où l’hystérie  pour appeler ainsi la magie de la nuit, prend une forme différente. Je suis Argentine et chez nous, le fantastique est un jeu triste pour essayer de voir l’envers des choses. J’ai l’impression que dans vos livres ce fantastique fait partie du réel, une réalité alternative mais bien existante. La réalité de la nuit. Deux mondes qui se côtoient.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me permets de vous écrire, celle de vous faire part d’une anecdote. En lisant la Nuit albinos, que j’adore, que je goute doucement, que je relis pour le plaisir, je me prends à penser que peut-être vous exagériez un peu en décrivant la terreur que suscitait ce chien gros et blanc, cette peur collective. Mais non, vous n’exagériez pas. Je l’ai compris.

Je travaille avec plusieurs collègues haïtiens. J’en ai abordé un sur le sujet de certains mots, n’ayant pas vu tout de suite que Mémoire d’encrier avait joint un lexique à la fin du roman. En pleine discussion sur le thème du livre, en voilà un de collègue, parfaitement sérieusement, qui me dit que les chiens la nuit le suivaient de façon anormale. –« Pardon Anthony? Que dis-tu? »,- « les chiens, la nuit, me suivent de façon étrange. ». J’ai compris. Ce n’est pas de la fiction, c’est Haïti. Cette magie est réelle et fait partie de votre réalité. Je trouve votre roman fascinant, Monsieur Victor, vous touchez à quelque chose sous la surface, une étrangeté propre à votre peuple et que par vos mots vous rendez universelle.

Avec mes remerciements pour vos beaux romans, originaux et si plein d’odeurs et sourires narquois, je vous prie de trouver ici, Monsieur Victor, l’expression de mes sentiments distingués.



Inés Negrete.

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